Racisme à l’Ecole : comprendre pour agir

Contexte et méthodologie

Pourquoi un outil sur le racisme à l’école ?
Comment nous y sommes-nous pris.es ?
À qui nous adressons-nous ? Et puis d’abord, c’est quoi le racisme ?

Pourquoi un outil sur le racisme à l’école ?
Comment nous y sommes-nous pris.es ?
À qui nous adressons-nous ? Et puis d’abord, c’est quoi le racisme ?

On le sait, l’école est un miroir des inégalités qui traversent la société. Elle en est également bien souvent un révélateur. Et peut s’avérer traumatisante. Dans le podcast « Kiffe ta race » qui aborde les questions de racisme et de discriminations, nombreuses sont les personnes racisées intervenantes dans l’émission qui s’expriment en ce sens : c’est à l’école qu’elles découvrent le racisme et sont pour la première fois renvoyées à leur couleur de peau, par exemple via la question « tu viens d’où ? », posée de manière récurrente tant par les autres élèves que par les enseignant.e.s. Pourquoi ces enfants non-blancs viendraient-ils de quelque part ? Pourquoi leur pose-t-on la question à eux, et pas à leurs camarades blancs ? Pourquoi cet étonnement ou insatisfaction lorsque ces enfants répondent venir de Charleroi ou de Namur ?

Tant dans les classes et les cours de récréation que dans les salles des profs et les couloirs de la Direction, le racisme est présent à l’école. Le dernier baromètre « Diversité Enseignement » d’UNIA met en lumière le caractère très inégalitaire de l’enseignement en Belgique. Le racisme à l’école, qui peut prendre différentes formes, touche tous les enfants perçus comme non-blancs, perçus comme provenant d’ailleurs, que ces enfants soient nés en Belgique ou non.

Or, les retours que nous donnent les acteurs et actrices de terrain indiquent une grande difficulté à faire face à ces constats dans le monde scolaire. Lors des formations et échanges que nous avons avec des professeur.e.s ou éducateurs.trices, à côté d’un déni parfois tenace, il est surtout question d’une grande impuissance, avec l’impression de ne pas être suffisamment outillé.e.s, de ne pas savoir détecter les effets du racisme ni comment réagir. L’impression, aussi, que le racisme jette un voile d’incompréhension tant avec leurs élèves que vis-à-vis de certain.es collègues. L’impression, enfin, de se sentir attaqué.es, montré.e.s du doigt.

L’école, un miroir de la profonde méconnaissance de la mécanique raciste

À nos yeux, ces observations illustrent un constat en particulier : dans le monde de l’école comme à l’échelle de la société, il y a une profonde méconnaissance par rapport à ce qu’est le racisme, à la manière dont il fonctionne, aux effets qu’il produit sur le vécu des individus et, enfin, à la façon dont il structure encore profondément l’ensemble de nos rapports sociaux.

Le plus souvent, le racisme est compris aujourd’hui comme de l’hostilité de la part d’individus envers d’autres individus perçus comme « différents » en raison d’une couleur de peau, d’une origine, d’une ethnie, d’une religion ou d’une nationalité différente. Il serait donc avant tout question, dans l’imaginaire collectif, de stéréotypes, de peur, de haine et de rejet de la différence. Des ressentis qui peuvent ensuite prendre différentes formes : l’agression, l’insulte, la moquerie...

Cette perception débouche sur deux constats : le racisme est avant tout individuel (ce sont des individus qui sont racistes) et moral (ce sont des personnes mauvaises et intolérantes qui sont racistes). Il s’en dégage une vision très binaire, avec d’une part les mauvaises personnes racistes emplies de haine et de peur, d’autre part les personnes tolérantes et progressistes. Cette vision binaire induit plusieurs difficultés :

  • d’une part, elle réduit le racisme aux seuls actes et discours de haine portés par des individus, et occulte ce faisant toute la dimension structurelle du racisme ;
  • d’autre part, une telle vision implique que pour la majorité des gens – toutes celles et ceux qui s’estiment tolérant.e.s et ouvert.e.s d’esprit –, il est inconcevable d’être mis en lien avec le racisme : le racisme ne les concerne pas. Le racisme ne nous concerne pas. Difficile dans ces conditions d’engager un processus réflexif tant sur ses propres pratiques et schémas de pensée individuels que sur le fonctionnement général de notre institution.

Or, le racisme dépasse la question de l’intention individuelle. Comme nous le verrons, nous sommes socialisé.e.s et grandissons dans une société profondément marquée par des imaginaires et des pratiques racistes qui impactent durablement nos manières de penser le monde. Ces pratiques et imaginaires sont notamment les produits d’une histoire et ont durant plusieurs siècles pénétré profondément nos modes de pensée ainsi que l’ensemble des structures sociales.

Pour comprendre le racisme aujourd’hui, il importe donc de dépasser cette vision morale et individuelle du racisme. Pour cela, la première étape consiste à l’historiciser, c’est-à-dire à le réinscrire dans l’histoire qui l’a vu émerger, se développer et s’adapter.

Pourquoi le prisme du passé colonial belge ?

Dans un article récent, l’ex-coordinateur du Collectif Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations et actuel député écologiste Kalvin Soiresse Njall, rapporte une anecdote concernant le fils d’un de ses amis. Ce jeune garçon afro-descendant refuse un beau jour de manger une banane à la maison, pourtant son fruit préféré. Finalement, il s’avère que ce garçon a été la cible de remarques racistes de la part d’un camarade classe qui lui a lancé que les Noirs étaient tous des singes, alors qu’il mangeait une banane.

Pourquoi cette remarque de la part du camarade de ce jeune garçon ? D’où vient-elle ? Ce type de situation très récurrente démontre un constat : on ne peut pas faire l’économie de l’histoire pour comprendre la manière dont le racisme fonctionne aujourd’hui. Dans le cas de la Belgique, cela est tout particulièrement vrai en ce qui concerne notre histoire coloniale. Durant 75 ans, la Belgique a été une puissance coloniale dans trois pays d’Afrique centrale, période durant laquelle une intense propagande à destination de la population belge a été mise en place par les services de propagande (essentiellement dans l’entre-deux guerres) afin de justifier cette présence coloniale : il importait de démontrer l’infériorité, l’animalité des populations africaines et l’importance d’aller leur apporter la lumière et la civilisation. Lorsque les trois colonies belges accèdent à l’indépendance, en 1960 et 1962, cette période de l’histoire est mise sous le tapis en Belgique : on n’en parle plus, ou presque. Le Belgique institutionnelle souhaite oublier tout ce qui a trait à son passé colonial. Dès lors, les indépendances de fait n’ont pas été accompagnées d’une décolonisation des esprits et des structures sociales. Les imaginaires véhiculés constamment par les services de propagande coloniale n’ont pas été déconstruits et continuent aujourd’hui d’être largement présents dans la société. En témoignent, parmi bien d’autres exemples, les incidents au Pukkle Pop en 2018 durant lesquels des jeunes flamands ont agressé des personnes Afro-descendantes en chantant des chants coloniaux , la présence de nombreuses statues et rues à la gloire de la colonisation, les cris de singe hebdomadaires dans les stades de football ou encore les nombreuses pratiques folkloriques qui proviennent directement de cette période coloniale.

Notre objectif dans cet outil n’est pas de revenir précisément sur cette partie de l’histoire ni sur la manière dont la propagande coloniale belge s’est développée et a impacté l’ensemble de la société. À ce sujet, nous vous invitons à aller voir, notamment, les travaux et nombreuses activités d’autres associations comme le Collectif Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations, l’ASBL Bamko, Café Congo, Bakunshinta ou encore l’ONG Coopération Education Culture.

Notre objectif est de lire certaines situations qui se produisent aujourd’hui dans les classes ou les cours de récréation à travers le prisme de cette histoire afin d’outiller le corps enseignant et les directions sur les manières de comprendre, de réagir et de prévenir.

Qui sommes-nous et à qui nous adressons-nous ?

Tout au long de cet outil, un élément essentiel revient continuellement : la nécessité de toujours se situer, de dire depuis quelle position on parle.

À titre d’illustration, la manière de se mouvoir dans l’espace public sera tout à fait différente selon que l’on est valide ou en chaise roulante. Une personne valide, malgré toute la bonne volonté du monde, ne sera pas en mesure de comprendre l’ampleur des difficultés que représente le fait de se mouvoir lorsque l’on est porteur.euse de handicap dans une société pensée autour de la norme de la validité. Une personne valide a des angles morts, des choses auxquelles elle ne pense pas. Ainsi, elle pourrait considérer que la question des crottes de chiens sur les trottoirs n’est pas directement liée aux enjeux de mobilité des personnes à mobilité réduite : « Dans le pire des cas, il y en aura sur les roues, mais ce n’est pas une priorité ». Mais comme le soulignent les personnes directement concernées, « avec quoi pensez-vous que nous faisons avancer nos roues ? ».

Dans une société traversée par des inégalités structurelles, la position que l’on occupe a un impact sur notre manière d’interpréter et de penser la société. D’où l’importance de se situer. Car si l’on énonce quelque chose sans se situer, on fait comme si ce que l’on dit était universel, comme si le point de vue énoncé était valable pour tout le monde. Non, il est situé. Dans ce cas-ci, la manière de nous situer est multiple. D’une part, ce travail a été réalisé dans le cadre de BePax, c’est-à-dire une organisation de lutte contre le racisme qui est structurellement financée pour le faire. Un détour par le site Internet de BePax vous permettra de voir également l’histoire de cette association. D’autre part, parmi les individus ayant contribué à construire cet outil, il y a d’une part deux employé.es de BePax, d’autre part un groupe de quatre bénévoles, toutes actives au sein du monde de l’enseignement. Il s’agit de Vinciane Pirson, Amy Koorn, Isabelle Eluki et Najatt Bouali. Ces dernières ont pris sur leur temps pour nous aider à continuellement coller aux attentes, besoins et spécificités du terrain. Nous en profitons pour les remercier chaleureusement.

Un outil avant tout destiné aux Directions et au corps professoral

Si cet outil est ouvert à toutes et tous, il vise plus spécifiquement toute personne adulte active dans le monde de l’enseignement, et en particulier celles amenées à encadrer des jeunes. Il s’adresse donc aussi bien aux professeur.es qu’aux membres des Directions, mais aussi aux éducateurs.trices et personnels des services PMS.

À vous qui vous apprêtez à parcourir cet outil, nous avons une proposition à vous faire : abordez cet outil et les questions qu’il soulève avec la volonté de vous décentrer, de vous questionner. Nous savons par expérience que ces questions charrient bien souvent des émotions très fortes et très inconfortables. Acceptez-les, notez-les, questionnez-les.

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