Les quatre balises
Quatre balises pour s’orienter
Quatre balises pour s’orienter
Cet outil propose une série de situations de violence ou de tension liées au racisme dans le monde de l’école. Des situations que vous avez peut-être vécues dans vos classes, dans vos écoles, dans votre vie professionnelle ou privée.
Face à ces situations, recueillies lors de différentes formations et animations ces dernières années, les professeur.es ou encadrant.es ont manifesté leur incompréhension (« on ne comprend pas ce qui se passe »), leur impuissance (« je ne sais vraiment pas quoi faire ») ou leur agacement (« il ne faut pas exagérer non plus, et arrêter de voir du racisme partout »).
Pour comprendre les émotions et violences que ces situations charrient, nous vous proposons de les analyser par le biais de balises théoriques qui sont comme des lunettes, des grilles de lecture à avoir constamment en tête. En outre, dans chacune des situations, nous mobilisons certains concepts qui agissent comme des traductions, qui servent à mettre des mots, à nommer les choses pour pouvoir les comprendre.
Avant de vous lancer dans l’analyse des situations concrètes, nous vous invitons à prendre connaissance de ce qui suit, des balises et des concepts. Et de régulièrement les relire, encore et encore. La pédagogie est faite de répétition. Et n’hésitez pas à prendre certaines notes, à relever vos questionnements, à décrire vos ressentis, à mettre des mots sur les émotions que cela suscite en vous. De notre côté, nous actualiserons régulièrement cet outil avec de nouveaux supports, de nouvelles vidéos, de nouvelles situations et de nouveaux concepts.
Les grandes étapes du processus de construction identitaire
Avant de présenter les balises, faisons un rapide détour par quelques étapes importantes du processus de construction identitaire.
- Catégorisation : la psychologie sociale nous explique que nous sommes toutes et tous amené.es à continuellement construire et déconstruire des groupes sociaux auxquels nous nous opposons (exo-groupes) pour pouvoir, dans un second temps, construire par défaut des groupes auxquels nous nous identifions (endo-groupes). Nous avons besoin des autres pour nous définir nous-mêmes. Ce soir, en assistant à un match des Diables rouges contre la France, Sarah se sent appartenir au groupe « Belges », en opposition au groupe « Français ». Le lendemain, lorsqu’elle entamera sa journée en tant que professeure, cette catégorie d’appartenance n’aura plus aucune signification et elle s’identifiera plutôt au groupe « enseignante », par opposition à celui des « élèves ». Ces différentes catégories que nous mobilisons sans cesse sont des constructions qui évoluent dans le temps et dans l’espace et qui nous permettent de structurer le monde qui nous entoure.
- Stéréotypes : nous apprenons également que des caractéristiques sont accolées à ces différents groupes. Les juristes sont rigoureux, tandis que les artistes sont créatifs. Ces caractéristiques sont des stéréotypes, à savoir des raccourcis cognitifs qui permettent de classer les informations et de structurer les interactions.
- Préjugés : ces stéréotypes peuvent déclencher une forme de réaction affective qui peut influencer les comportements. Ce sont les préjugés. Par exemple, si je suis assis.e dans un bus bondé et que je vois une dame âgée rentrer, je vais la catégoriser (c’est une femme âgée) et accoler un stéréotype à ce groupe (les personnes âgées sont fragiles), je vais ensuite préjuger qu’elle pourrait tomber (les personnes âgées sont fragiles et dans un bus qui roule, cette dame risque de tomber) et je vais donc réagir : me lever et laisser ma place.
Ce processus de catégorisation est une construction sociale, et les stéréotypes sont une simplification du réel. Sarah a de multiples autres identités et groupes d’appartenance, y compris durant le match des Diables rouges. De même, la dame âgée dans le bus n’a peut-être pas du tout besoin d’être assise pour ne pas tomber. Si l’on oublie cela, on tombe dans l’essentialisation en gommant toutes les autres spécificités et identités des individus.
Par ailleurs, ce mécanisme général qui permet de structurer la vie qui nous entoure ne se produit toutefois pas dans un vide historique. Les caractéristiques accolées à certains groupes s’inscrivent parfois dans une longue histoire d’oppression, traduisent une hiérarchisation et peuvent déboucher sur des actes de haine ou des discriminations.
Prenons par exemple le cas d’un stéréotype sexiste : les femmes (catégorisation) sont sensibles (stéréotype). Dans une société patriarcale, le fait d’être sensible n’es pas quelque chose de valorisé, notamment dans le monde de l’entreprise (hiérarchisation). En tant qu’employeur, je crains que la dame qui postule dans mon entreprise pour un poste à responsabilités soit trop sensible pour supporter la pression inhérente à cette fonction (préjugé), je décide dès lors de refuser sa candidature (discrimination).
Dans le cas d’un rapport de domination comme le sexisme ou le racisme, il importe de comprendre comment les catégories ainsi que les caractéristiques/stéréotypes qui leur sont accolés ont été historiquement construits, par qui, à quelles fins et avec quels impacts structurels.
Quatre balises à garder en tête pour s’orienter
Pour cela, nous vous proposons au préalable de délimiter quatre balises à garder en tête et qui doivent vous permettre de guider votre réflexion. Comme évoqué, ces balises sont autant de boussoles nécessaires pour vous situer et garder le cap. N’hésitez pas y revenir, encore et encore. Ces quatre balises sont les suivantes :
- Ne jamais déconnecter le racisme de l’histoire qui l’a vu naître et évoluer, histoire avec laquelle il n’y a jamais eu de rupture ;
- Le racisme ne survient pas dans un vide sociétal, mais dans un contexte fait de violences, d’inégalités, de discriminations structurelles ;
- Toutes et tous, nous sommes situésystème raciste, ce qui implique que notre point de vue l’est également ; e s socialement au sein du
- Le racisme charrie des émotions très fortes et ces émotions sont elles aussi situées socialement.
Passez à l’étape suivante
[1] A. Michel (2020), « Un monde en nègre et blanc. Enquête historique sur l’ordre racial », Editions Points.
[2] Picketty T. (2019), « Capital et idéologie », Editions Seuil, p. 13
[3] Bessone M. et Alfred (2018), “Les races, ça existe ou pas ?”, Gallimard Jeunesse, p. 33
[4] Wekker G. (2016), « White Innocence. Paradoxes of colonialism and race », Duke University Press
[5] Robert M-T (2016), « Racisme anti-Noirs. Entre méconnaissance et mépris », Couleur livres, BePax
[6] À ce sujet, il est intéressant également de questionner cette méconnaissance et la manière dont elle est construite et entretenue politiquement. Voir à ce sujet Des parapluies usés pour entretenir l’ignorance blanche (bepax.org)