Racisme à l’Ecole : comprendre pour agir

Race et racialisation

Progressivement à partir du 15e siècle, et plus encore à partir de la seconde moitié du 18e siècle, la race renvoie à la division de l’humanité en plusieurs races humaines hiérarchisées entre elles. Cette racialisation du monde, au sommet de laquelle se trouve l’homme blanc, a permis aux populations européennes de justifier et perpétuer l’oppression systématique des populations esclavagisées et colonisées. Nous savons aujourd’hui que les races n’existent pas biologiquement. Mais affirmer qu’un concept est inopérant sur le plan biologique ne fait pas disparaitre d’un coup de baguette magique les effets qu’il produit depuis des siècles. Certes, les races n’existent pas, mais la race existe en tant que processus.

Aujourd’hui, lorsque l’on parle de race, on parle du processus de racialisation, c’est-à-dire un processus historique qui classe les individus sur base de certaines caractéristiques arbitraires. Un processus qui distingue et hiérarchise les individus, qui sert de marqueur pour désigner les corps qui peuvent être infériorisés et déshumanisés. Pourtant, ce terme suscite des réserves, des craintes, voire des levées de boucliers. Utiliser le terme race, ce serait être raciste. Or, ce terme, dans son usage antiraciste, ne renvoie aucunement à une quelconque réalité biologique ou naturelle ni ne fait référence à un groupe défini ou à une identité figée (au contraire, par exemple, de l’origine ethnique). Elle est rapport social qui classe et hiérarchise les individus. Elle désigne la domination d’un groupe social sur un autre. En ce sens, la race n’est pas figée mais évolue. Elle est un signifiant flottant (Cf. Stuart Hall), c’est-à-dire qu’elle évolue et peut prendre des formes différentes en fonction du contexte et des époques.

Ainsi, à celles et ceux qui estiment que parler de race est raciste parce que cela divise les gens : cette division existe, et parler de race sert avant tout à nommer cet état de fait. Voilà pourquoi il faut nommer la race (d’autant que les autres termes et euphémismes utilisés à sa place, comme l’origine ethnique, la nationalité ou la couleur de peau, ne permettent pas de recouvrir la réalité historique de ce que la race recouvre). Il suffit d’observer pour voir la race. Quels sont les corps qui meurent dans les interactions avec la police ? Quels sont les corps qui occupent les positions professionnelles les plus précaires, les moins valorisées et les plus dangereuses ? Quels sont les corps qui meurent en Méditerranée ? Dans les banques, les universités ou même dans les associations, quels corps se retrouvent dans les postes de direction, au sein des équipes ou chargés du nettoyage ? Si vous entendez que l’école d’à côté est une bonne école, quels types de corps vous attendez-vous à y trouver ? Ici et aujourd’hui, être perçu.e comme blanc.he ou ne pas l’être entraine un vécu différent, que ce soit face à l’emploi, au logement ou à la police notamment. C’est cela la race : une construction sociale issue d’une violente histoire de domination qui continue aujourd’hui de structurer la vie sociale en assignant des individus à certains groupes sociaux infériorisés sur base de caractéristiques visibles ou imaginées.

Dans nos sociétés marquées par l’histoire de l’esclavage et de la colonisation, la race continue donc d’organiser la société et de désigner les corps qui méritent de vivre dignement et ceux qui peuvent être déshumanisés, encore et encore. Et surtout, la race permet d’invisibiliser ou de rendre ces inégalités acceptables : tous ces constats, même si nous les trouvons moralement inacceptables, ils ne nous étonnent pas. Car nous avons collectivement mémorisé la race, c’est-à-dire la manière dont la race impacte la position sociale – et donc le vécu au quotidien – des individus.

Illustration : selon le sociologue Eric Fassin, ce processus de racialisation est visible lorsqu’un jeune garçon africain-américain de cinq ans, Jacob Philadelphia demande à toucher les cheveux du président Barak Obama. En fait, ce garçon voulait vérifier si le Président avait bien les mêmes cheveux que les siens... Cela lui semblait incroyable qu’une personne avec les mêmes cheveux que lui soit à cette place de la société. C’est cela, la racialisation : à à peine cinq ans, un enfant s’étonne de la place d’une personne "comme lui" au poste de président. Cela sort de la perception du monde qu’il avait. Le processus de racialisation influence la position que l’on est supposé occuper dans l’échelle sociale.

Photo de Barack Obama et de l’enfant touchant ses cheveux [1]
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Notes

[1Jannic-Cherbonnel F., « L’histoire du garçon qui avait touché la tête d’Obama », Slate, 2012