Racisme à l’Ecole : comprendre pour agir

« Arrête de faire le singe »

Certains termes ont servi, historiquement, à justifier et perpétuer l’oppression raciste. Il importe de ne jamais déconnecter ces termes des effets qu’ils ont produits et continuent de produire.

Rappel des balises à avoir en tête : 1/ ne jamais déconnecter le racisme de l’histoire qui l’a vu émerger, évoluer et s’adapter, 2/ l’école n’est pas une bulle située en dehors de la société, il importe donc de prendre en compte le contexte social pour analyser ce qui se passe à l’école, 3/ dans cette situation, il faut constamment se demander qui parle, de qui et depuis quelle position, et enfin 4/ il est essentiel de garder en tête les impacts du racisme sur les vécus, émotions et ressentis individuels.

Certains termes ont servi, historiquement, à justifier et perpétuer l’oppression raciste. Il importe de ne jamais déconnecter ces termes des effets qu’ils ont produits et continuent de produire.

Rappel des balises à avoir en tête : 1/ ne jamais déconnecter le racisme de l’histoire qui l’a vu émerger, évoluer et s’adapter, 2/ l’école n’est pas une bulle située en dehors de la société, il importe donc de prendre en compte le contexte social pour analyser ce qui se passe à l’école, 3/ dans cette situation, il faut constamment se demander qui parle, de qui et depuis quelle position, et enfin 4/ il est essentiel de garder en tête les impacts du racisme sur les vécus, émotions et ressentis individuels.

Situation

Dans une classe de deuxième secondaire, un professeur observe du chahut dans le fond de sa classe. En se retournant, il voit un jeune garçon afro-descendant rigoler avec son voisin et lancer des boulettes de papier à ses camarades de classe. Le professeur l’interpelle : « dis, arrête de faire le singe ! ». L’élève prend très mal l’interpellation du professeur et réagit en le traitant de « sale raciste » avant de quitter la classe, les larmes aux yeux. Indigné d’être affublé de ce terme, l’enseignant n’accepte pas du tout la remarque de l’élève qui sonne comme une insulte à ses yeux. Il va même rapporter le cas auprès de la Direction afin de clarifier les choses : il n’a jamais eu aucune intention d’être raciste, et estime que le jeune garçon doit s’excuser de l’avoir insulté.

Analyse de la situation

Pourquoi le fait qu’un professeur utilise ce terme à l’égard d’un enfant afro-descendant pose-t-il problème ? Bien entendu, peut-être a-t-il utilisé le même mot à l’encontre d’un élève blanc, la veille, sans que cela ne suscite de réaction particulière.

Durant plusieurs siècles, les Européens ont cherché des moyens de justifier les violences à l’égard des populations non-blanches afin de perpétuer leur exploitation. Durant l’esclavage puis durant la période coloniale, les populations africaines ont fait l’objet d’une déshumanisation constante : elles étaient perçues comme le maillon intermédiaire entre les êtres humains et les singes. Cette animalisation des populations afro-descendantes a fait l’objet d’une intense propagande qui n’a cessé de véhiculer et renforcer ces imaginaires coloniaux.

Or, nous avons vu qu’il n’y a pas eu de rupture avec cette longue et violente histoire, mais qu’on parle au contraire d’un continuum colonial. Les imaginaires et représentations racistes à l’égard des personnes afro-descendantes sont encore largement présents dans la société et reposent toujours fortement cette animalisation des corps noirs renvoyés au domaine du sauvage. Ainsi, chaque semaine dans les stades de football résonnent des cris de singe lorsque des joueurs noirs touchent le ballon. Récemment, une élue française (Les Républicains) publiait un post sur les réseaux sociaux dans lequel elle compare, image à l’appui, l’ancienne ministre de la justice française Christiane Taubira à un singe. Ces constats sont également observables dans la publicité, dans les manuels scolaires, dans la littérature jeunesse qui traite de la rencontre interculturelle ou encore dans le folklore...

Or, ces imaginaires et représentations ont des effets concrets, ici et aujourd’hui. Ils débouchent sur des violences et des discriminations structurelles (notamment à l’emploi, au logement, dans le secteur des soins de santé ou encore en termes de violences policières ...). Ils ont en outre des impacts psychologiques et symboliques extrêmement violents pour les personnes qui les subissent et qui voient constamment leur humanité moquée, méprisée, niée (trauma racial).

Ces imaginaires, historiquement construits à des fins de domination, continuent donc aujourd’hui à marquer une distinction entre les corps.
Ainsi, nous voyons que l’utilisation du terme singe n’est pas un terme anodin. Le professeur explique qu’il aurait tout aussi pu dire la même chose à un autre élève et qu’il n’y a aucune intention raciste dans son chef. Certes, mais là n’est pas la question. D’une part, ce terme lancé à destination d’un élève blanc ne renvoie pas à une histoire violente et déshumanisante, ni à un contexte social présent dans lequel ce terme participe à un ensemble de stéréotypes qui continuent d’impacter violemment, structurellement et collectivement la vie des personnes afro-descendantes. Il ne suscitera donc aucune violence particulière, ne sera pas lié à un système de domination. D’autre part, l’intention de départ ne doit jamais servir à occulter les effets produits par des propos ou attitudes racistes. En effet, nous l’avons vu, nous sommes toutes et tous parties prenantes du système raciste, lequel impacte notre regard et notre subjectivité.

Dans ce cas-ci, il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur ce professeur ni de questionner son intégrité morale. Il s’agit de comprendre que le terme utilisé n’est pas neutre, ne vient pas de nulle part, a une fonction sociale et produit une violence sur ce jeune garçon.

La fragilité blanche, ou quand le ressenti individuel prend toute la place

Or, la réaction du professeur met en avant trois éléments centraux qui prennent finalement toute la place :

1. Son indignation : personne dans la société ne souhaite être taxé.e de raciste. Ce terme est devenu une des pires insultes qui soit. Dès lors, lorsqu’elle est formulée, elle déclenche d’emblée des émotions très fortes d’indignation, de surprise, de colère. Ces ressentis prennent une place immense.

2. Sa justification : à côté de cette émotion, la principale réaction est de se justifier, de démontrer que « je ne suis pas raciste ». Pour cela, l’intention de départ est souvent mise en avant. Mais dans le cadre d’un rapport de domination, l’intention de départ ne doit jamais servir à invisibiliser les effets produits.

3. Sa réaction : le professeur estime être lui-même la victime et demande à ce que le jeune garçon s’excuse. Ainsi, au final, les émotions et la réaction de ce professeur prennent toute la place et occultent entièrement le problème de départ. Que reste-t-il de la situation de départ ?

Bien souvent, les personnes que nous recevons en formation réagissent en disant qu’il faut prendre en compte les deux émotions, en mettant sur un même pied l’utilisation du terme « singe » à l’encontre d’un jeune afro-descendant et le terme « raciste » lancé par ce dernier envers un professeur blanc. Or, c’est occulter tout ce dont il a été question jusqu’à maintenant : le racisme est un système de domination. Dans ce cas-ci, il importe de questionner les effets produits. Dans le cas du jeune garçon, ce terme renvoie à des violences collectives, à des discriminations structurelles, à une longue histoire non révolue dans laquelle son propre corps est constamment déshumanisé, infériorisé. Dans le cas du professeur, il n’est question que d’un ressenti individuel lié à la charge morale qui accompagne le terme raciste. Ce n’est pas gai d’être taxé de racisme, certes, mais cela n’a aucun autre impact collectif ou structurel.